top of page

Introduction à la journée du 24 novembre 2022

 

 

C'est avec plaisir que nous vous retrouvons après deux ans d'interruption de nos rencontres à cause de la pandémie du covid.

Depuis longtemps déjà, nous sommes alarmées par le vécu des professionnels du secteur médico-psycho-social. Nous constatons que les institutions s'effondrent, précarisées par la pénurie endémique de professionnels d'une part, et d'autre part par les dérives managériales, accompagnées d'une machinerie bureaucratique imposée à notre secteur, un système fondé sur l’accélération, la pression, la performance avec toujours moins de moyens. Cette politique entraine, tant les professionnels que les usagers, vers une dérive périlleuse. Nous assistons à la destruction du soin, du lien social, et du collectif !

En 1979, Michel Foucault, dans son livre Naissance de la biopolitique, mettait en évidence qu’à partir d’une forme de rationalité économique, toutes sortes de conduites n’ont plus à être pensées en termes ontologiques ou éthiques, mais uniquement avec des opérateurs de calcul d’intérêt et de rentabilité.

La désinstitutionnalisation néolibérale vise à déliter toutes les formations collectives, à promouvoir prioritairement des dispositifs susceptibles d’être rentabilisés en termes de profit au nom d'une soi-disant "logique scientifique capitaliste". La gestion managériale de la souffrance psychique s’accompagne de méthodes autoritaires. Ces dérives des pouvoirs en place isolent les professionnels, chacun se retrouve seul, cet isolement entraine peur, dévitalisation et perte de sens ! alors que Freud faisait remarquer, dès 1921 que l’essence de l’humain est sociale !

Cette vision du monde et de l'homme, cette approche managériale de la souffrance psychique a des conséquences sur les pratiques. Nous assistons, à des prises en charge faites au nom toujours d'une soi-disant scientificité : certaines thérapies notamment les comportementales, prétendent que leurs effets sont chiffrables, donc scientifiques et privilégient le quantitatif au qualitatif, leur imposture nous amènerait à penser que l’homme est analogue à une machine qui traite de l’information et que l'on pourrait réparer comme telle. Cette idéologie exprime quelque chose de très profond d'une mutation ontologique, une transformation de notre rapport à l’être.

On mesure, on évalue, on compte tout et n’importe quoi : les comportements, les cases cochées des questionnaires, les neurones, on se fie davantage aux chiffres, aux protocoles qu'à la parole ! N’oublions pas que l’histoire a déjà fait une mauvaise rencontre avec le chiffre et l’idéal normatif, elle a nourri, déjà, par le passé une politique de normalisation sociale et d’eugénisme avec les effets funestes qu’on lui a connus.

Par ailleurs, le réductionnisme organiciste et cérébral se porte bien : référence à la biologie pour expliquer les symptômes sans tenir compte de ce qui les cause. Le sujet n'est plus malade mais handicapé, plus sujet de son histoire mais effet de ses dysfonctionnements neurocognitifs, la biologie est censée répondre de lui et c'est ainsi que se dessine le portrait anonyme, et interchangeable d’une personne aux comportements défectueux, réduit à une pathologie.  Ces pratiques objectivent l’autre et entraine, de facto, la dissolution du sujet, sujet qui nait avec le langage, et qui se retrouve ainsi privé de son histoire, de sa parole, et de sa singularité.

Les concepts freudiens qui soutiennent notre clinique tels que le psychisme, l'inconscient, la subjectivité, le transfert... sont passés à la trappe, ainsi que l'éthique analytique de la causalité psychique. À présent, la psychanalyse est attaquée voire expulsée des lieux de soin et de l'université où elle était présente ... au profit de pratiques normalisées soutenues par les laboratoires ou des thérapies de mise au pas du sujet, des techniques de rééducation, ou encore par les approches du " tout cérébral", c’est-à-dire, des pratiques sans référence au sujet, qui se retrouve, de ce fait, objectivé, pourtant on n'a jamais vu la trace d'une pensée dans une image cérébrale !

La vie aujourd’hui est devenue éprouvante : solitude, souffrance au travail, compétitivité, ségrégation ... ! Comment ne pas prendre en compte les effets du social, du politique sur la subjectivité́, connaissant les liens qui se tissent entre le collectif et le singulier de chaque sujet ?

La clinique elle, n'est-elle pas l’expérience de la singularité ? Elle s'intéresse à ce qu’il y a d’unique chez un sujet, à ce qu'il a de différent et d'irremplaçable.

L’inconscient colle au langage comme l’ombre au corps, et insiste à se faire entendre malgré́ toutes les tentatives pour le mettre sous cloche. Pratique de parole, qui peut faire d’un dire un évènement, la psychanalyse représente un refuge pour celle-ci. L'homme, être de langage, et l'inconscient qui s'en déduit fabrique du symptôme. Dans la logique libérale, même le symptôme n'a pas droit de cité : les enfants ayant des difficultés à l'école sont classés du côté du handicap ce qui signifie que le malaise est, dès lors, d’ordre biologique, il n’y a rien à attendre, rien à entendre, à comprendre, passez muscade, circulez !

Pourtant le symptôme n'est pas à éradiquer, invention du sujet, il est à entendre comme une tentative d’ébauche de solution, de défense contre un réel insupportable, mais aussi comme une interrogation sur la société.

Alors comment travailler, comment résister, comment continuer à penser au delà des évidences et de la question politique qui se pose ?

 

Les professionnels sont en souffrance, découragés dans bien des institutions, par des injonctions paradoxales, culpabilisés de ne pas pouvoir faire leur travail comme ils le souhaiteraient, par la surcharge de travail, les listes de personnes en attente de rendez-vous, par le travail administratif. La violence est distillée au quotidien, parfois, on n'attend plus d'eux un travail thérapeutique, mais d’orienter, de maîtriser, d’expertiser. Cette approche requiert des techniciens interchangeables et non des professionnels qui réfléchissent à leur pratique, elle dénie leur savoir-faire. Nous voyons combien ceux-ci luttent pour préserver leur travail clinique contre vents et marées et ce qui leur en coûte parfois !

Avec quels moyens, par quels dispositifs, et quelles alternatives pouvons-nous nous réapproprier le collectif, sortir de cette violence, préserver la clinique, les institutions, le service public des attaques qui sont menées contre lui.

Enfin comment préserver la rencontre avec l'autre, faire une place à l'utopie, retrouver du désir par une approche pourquoi pas, poétique de l'autre, et réintroduire du possible, voire du rêve, sauvegarder ce qui nous est primordial, en quelque sorte, et transmettre ? Comment préserver, créer de nouvelles approches si nécessaires à l’accueil de tout autre : de l’étranger, de la folie... ?

Nous allons entendre parler ce matin de différentes pratiques cliniques, d'expérience de terrain au quotidien qui tentent de préserver le soin, le lien à l'autre, notamment avec la psychothérapie institutionnelle, le travail avec des patients psychotiques, des autistes ou encore des enfants, nous allons aussi entendre parler des collectifs qui se sont constitués pour résister.

Aspasie BALI

bottom of page