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    La psychopathologie à l'ère du numérique

 

Roland GORI, psychanalyste, professeur en psychopathologie clinique,

auteur,un des initiateurs de l'Appel des  39

 

 

 

 

 Je vais partir simplement d'une petite expérience pilote qui atteste de la manière dont aujourd'hui justement la société, les valeurs néolibérales qui ont tendance à promouvoir l'individu comme une espèce de micro entreprise autogérée, ouverte à la concurrence et à la compétition sur le marché d'une jouissance existentielle, comment cette conception de l'individu effectivement pousse à ce que nos pratiques professionnelles soient transformées. Et transformées par un double assujettissement : à la fois celui du système technicien – je vais y revenir très largement au cours de mon intervention – et celui d'une logique du marché. Ce qui veut dire qu'il est de plus en plus prescrit à l'ensemble des praticiens, quels qu'ils soient, dans le secteur aussi bien de la santé, de l'éducation, de la culture, du journalisme, de la justice et du soin, il est prescrit de raisonner en termes d'efficacité  et en termes de coûts. Et je voudrais essayer de montrer comment ces prescriptions, conduisent à une véritable prolétarisation de l'ensemble des professionnels et pervertissent totalement les finalités que constituent justement nos métiers.

 

Avant de déplier les thèses que je voudrais énoncer, je vais partir de cette expérience, parce qu'elle me paraît intéressante. Elle a été relatée par le journal Le Monde en août 2014. Il s'agit d'une expérience pilote qui a eu lieu à Londres mais qui existe aussi aux Pays-Bas, aux Etats-Unis, au Canada etc. Vous le savez peut-être mais depuis la loi de 2012 à Londres, on sanctionne systématiquement toutes les personnes qui sont prises dans un état d'ébriété et impliquées dans des altercations, des injures, voire des bagarres. Elles sont sanctionnées par les tribunaux, elles sont punies, elles ont des amendes, voire elles doivent venir signer régulièrement un registre de probation.

Et l'expérience pilote est la suivante et vous allez voir combien elle est significative de notre conception de l'aide et du soin : on permet aux personnes condamnées de porter un bracelet électronique qui mesure toutes les demies heures le taux d'alcoolémie à partir de l'analyse de la transpiration. Les personnes ont le choix, elles peuvent avoir un bracelet jaune, rouge, vert. On est en démocratie donc elles peuvent choisir le bracelet qu'elles portent à la cheville. Mais ce qui est quand même intéressant, c'est que toute personne qui porte ce bracelet se trouve prise dans un espèce de surmoi portatif qui vient évaluer les dangers d'écart des comportements. Donc à la moindre pinte de bière, au moindre abus d'alcool, le bracelet électronique envoie une alerte et les personnes peuvent être convoquées devant la justice, voire en cas de récidive, condamnées.

Alors ce qui est intéressant, c'est la manière dont le Maire de Londres, Boris Johnson, justifie, légitime en quelque sorte, cette forme de surveillance de personnes, tout à fait comparable aujourd'hui aux personnes assignées à résidence ou en liberté provisoire etc. Il dit : « Ce projet ne s'adresse pas aux alcooliques les plus sérieux, ceux qui sont connus de la police ».

Donc vous voyez ça ne concerne pas des délinquants, ça ne concerne pas « des malades ». Il dit : « On vise les gens qui exagèrent un peu trop un vendredi ou un samedi soir et qui se retrouvent dans des délits liés à l'alcool, par exemple des bagarres. Plutôt que de les emprisonner, on peut les aider avec cet appareil. Je crois que c'est moins cher et plus efficace. » Alors ce qui est très intéressant à mon avis c'est : « on peut les aider avec cet appareil ». C'est-à-dire que dans notre société, l'aide, le soin, c'est cette surveillance technique qui encore une fois supplée à la capacité du sujet de se conduire lui-même par sa raison critique et par sa loi morale, si on reprend les principes kantiens, donc le discours des lumières. « On peut les aider », donc la forme d'aide aujourd'hui ce n'est pas le psy, ce n'est pas le travailleur social, la forme d'aide c'est la machine. Je vais revenir là-dessus.

 

Deuxièmement : «Je crois que c'est moins cher et plus efficace». Vous avez les deux mamelles du néolibéralisme : « C'est moins cher » donc, c'est-à-dire qu'effectivement on évalue les couts. « Et plus efficace », c'est un langage de machine. La machine, on ne lui demande pas de penser, on ne lui demande pas d'avoir un état d'âme, on lui demande de fonctionner. Donc l'efficacité de l'aide là, c'est cette surveillance par la machine. J'essaierai de vous montrer qu'aujourd'hui c'est cela qui est prescrit à tous les praticiens du champ social comme du champ de la santé, à savoir d'incorporer un acte machinique dans leurs prestations professionnelles.

 

Alors il faut voir aussi que le recours à ce type d'appareil pour gens ordinaires – vous l'avez bien entendu il ne s'agit pas de délinquants, il ne s'agit pas de malades – tend à se généraliser : seniors en cavale des maisons de retraites, bambins fugueurs de crèches, professionnels tracés pour leur sécurité, policiers ou infirmiers exemplaires que l'on peut suivre à la trace de la machine, personnels dévoués à l'entreprise etc. Et demain, pourquoi pas bien sûr, des gens qui ne pensent pas tout à fait bien ou bien encore des conjoints adultérins qui sont repentis et font surveiller leur conduite par la machine ? Ça peut être des étudiants aussi, ou des élèves réfractaires, enfin bref. Et comme de toute façon nous sommes dans une société d'égalité, finalement tout le monde peut porter un bracelet électronique pour attester justement de la rigueur de la rectitude de sa conduite. Alors, la chose qui est extrêmement intéressante c'est bien sûr, si vous voulez bien entendre ce que je dis non pas par rapport à cette expérience-là qui va se généraliser, c'est évident, c'est pas la peine de contourner le problème, mais c'est d'essayer de voir en quoi cette expérience est symptomatique d'une constitution du lien social où la machine vient remplacer notre raison critique et notre conscience morale.

 

 Pour une fois, je vous rappelle quand même l'impératif kantien : « Émancipe-toi de la tutelle des religions, émancipe-toi de la tutelle des autorités, ne te fie qu'à ta raison critique et à ta loi morale, ne te fie qu'à l'autonomie de ta volonté. » C'est quand-même le grand discours de la fin du 18ème siècle qui va inspirer toute la première partie du 19ème et qui se trouver en faillite à la fin du 19ème siècle. Ça c'est un autre problème dont on parlera peut-être pendant le débat. Il faut bien voir que là, ce n'est pas la peine d'avoir une rationalité critique, une raison critique, ce n'est pas la peine d'avoir de loi morale. En gros, la machine fait le boulot à votre place. Et c'est ce qui tend aujourd'hui à se généraliser.

Est-ce l'appareil qui économise la pensée ? C'est quand-même de ça dont il s'agit, cet appareil qui économise d'avoir à juger, d'avoir à décider... Est-ce que cet appareil est si efficace que ça ? Ce qui est intéressant c'est que bien sûr, comme nous avons tendance en Europe à recycler les surplus américains, on peut se tourner vers les expériences qui ont eu lieu en Amérique du Nord et constater depuis dix ans l'usage, l'utilisation de ces bracelets électroniques. Ce que l'on constate, si l'on prend par exemple un état comme le Dakota du sud : les recherches attestent que les gens qui portent ce bracelet électronique tendent à ne pas récidiver dans leurs conduites d'abus d'alcool, puisque 5% de récidives sont constatées durant la période où les gens portent le bracelet électronique.

 Mais quand on a enlevé le bracelet électronique, on s'aperçoit que la moyenne des récidives rejoint la moyenne générale. C'est-à-dire qu'en gros, c'est bien un surmoi portatif. À partir du moment où vous le laissez de côté, vous retournez à la conduite antérieure. Ce qui est très intéressant puisque ça montre bien que ça n'est pas efficace, sauf à devoir le porter en permanence. Et c'est là où il faut bien comprendre la question de la machine comme une normalisation technique de comportements et qui apparaît d'ailleurs très rapidement à la fin du 19ème siècle lorsque justement, on s'aperçoit que les idéaux libéraux, les idéaux des philosophies des lumières, les idéaux d'émancipation se trouvent en faillite. C'est mon dernier bouquin qui est consacré à cette question, je ne vais pas le développer ce matin, mais disons qu'à la fin du 19ème siècle, face au constat que l'individu n'est pas autonome, l'individu n'est pas libre, l'individu n'est pas indivisible, indivisé d'ailleurs – il est divisé, c'est ce qu'atteste aussi bien la psychanalyse que la sociologie de Durkheim – il va de soi qu'à partir de ce moment-là, on peut plus parier là-dessus pour que la conduite des conduites opère de telle manière, de façon qu'on ait à faire à des gens sensés, raisonnables qui vont contracter du lien social pour faire société. Ça ne marche pas.

 

Et alors qu'est-ce qu'on trouve à la place ? On trouve à la place ce qui va se développer tout au long du 20ème et encore plus aujourd'hui. Je vais essayer de vous expliquer pourquoi. On trouve la machine comme étant le tuteur, comme étant le directeur de conscience des individus. C'est-à-dire que la pédagogie des comportements va de plus en plus passer par la machine, et on peut dire que la psychanalyse, la psychothérapie institutionnelle, la philosophie critique, se sont « constituées » contre cette conception machinique justement du gouvernement des individus.

Alors, je vous donne juste un exemple : en 1870 un patron parisien, ingénieur très doué d'une entreprise métallurgique qui est républicain, ce n'est pas un réac, ce n'est pas un conservateur... et bien il voit dans la machine vraiment le guide moralisateur du comportement ouvrier. Il écrit un bouquin là- dessus. C'est un ouvrage qui est paru un an avant le déclenchement de la commune. Il présente sa vision de la classe ouvrière avec cette idée que les ouvriers, le tuteur de leur conduite, ça ne peut être que la machine. Il a cette phrase que je vous cite parce qu'elle vaut la peine : il voit, dit-il, dans la machine «le guide moralisateur du comportement ouvrier.» On est là face à ce que j'appelle aujourd'hui une extension – il ne s'agit pas simplement des ouvriers, il s'agit de l'ensemble des populations – on va tabler sur le système technicien pour conduire les conduites au sens de Michel Foucault.

Et c'est un point qui est extrêmement important, c'est ce que j'appelle la prolétarisation généralisée de l'existence. Qu'est ce que c'est que la prolétarisation généralisée de l'existence ? Si vous vous souvenez de lorsque Marx parle des prolétaires, c'est quoi le prolétaire ? Il emprunte comme vous savez ce terme à une notion de l'antiquité, à savoir celui qui n'a que ses enfants, celui qui n'a rien. Mais, dit Marx, le prolétaire, l'ouvrier prolétaire, ce n'est pas simplement celui qui vit misérablement eut égard aux conditions matérielles qui lui sont faîtes par l'urbanisation ou l'industrialisation. Ce n'est pas simplement la misère matérielle. Est prolétaire celui dont le savoir-faire, le savoir-être se trouve confisqué par les exigences de la machine. C'est-à-dire qu'à partir de ce moment-là, on passe de l'artisan à l'ouvrier spécialisé. Donc ce prolétaire, c'est celui dont le savoir-faire se trouve confisqué et auquel la machine par un mode d'emploi va prescrire des actes rationalisés, fragmentés, scientifiquement établis – vous voyez on est déjà dans les protocoles. Et en quelque sorte, à partir de ce moment-là c'est comme si l'ouvrier se trouvait être le prolongement de l'instrument. Ça n'est plus la machine qui va servir, mais c'est celui qui la sert qui va asservir la machine. Donc on voit bien comment la technique qui comporte un élément d'émancipation – puisque  â€“ donc comment ce dispositif d'émancipation peut constituer socialement parlant, politiquement parlant, subjectivement parlant, un moyen d'oppression et de soumission sociale librement consentie. Alors à partir de ce moment-là, comme le dit la philosophe Simone Veil, on se résigne à nourrir les hommes pour qu'ils servent les machines. Le lien social se constitue comme ça.

 

Moi, j'ajouterai après Marx et Simone Veil que ce transfert du lieu de la décision qui passe de l'être de l'ouvrier vers le mode d'emploi de la machine, qui prescrit des actes très efficaces, très rationalisés, ce n'est pas simplement aujourd'hui le cas des ouvriers puisque vous savez que la population se réduit considérablement en pourcentage. C'est aujourd'hui par exemple le savoir-faire et savoir-être paysan qui se trouvent confisqués par les exigences des industries agroalimentaires qui lui prescrivent exactement ce qu'il doit planter, semer, récolter etc, en fonction des besoins de l'industrie. Et donc il se trouve dépossédé d'un savoir qui est un savoir artisanal. Et dans artisan il y a le mot «art» qui est fondamental, bien sûr. Aujourd'hui – et c'était le sens de L'Appel des Appels. Allez sur le site, il y a pas mal de texte dessus – aujourd'hui il va de soi que le médecin, l'infirmier, le travailleur social, le psy, le journaliste, l'acteur culturel, le magistrat, l'enseignant, le chercheur, se trouvent prolétarisés du fait que leur savoir artisanal se trouve confisqué par les exigences de machines immatérielles mais bien réelles dans leurs effets, que sont les règles de bonnes pratiques, que sont les protocoles standardisés, qui prescrivent exactement ce que vous devez faire en fonction de ce qui a été établi. Par exemple la tarification à l'activité à l'hôpital, par exemple les impact factors à l'université... vous avez déjà un programme qui de plus en plus et de manière extrêmement serrée par un espèce de maillage normatif, contraint les individus de se comporter d'une certaine façon. Ce qu'il faut voir, c'est comment ce système-là vient répondre à des exigences dans les rapports sociaux de production.

Et maintenant, je vais peut-être commencer mon propos en essayant d'accélérer en vous donnant trois citations qui pourraient constituer à la limite ce que j'ai à vous dire. On pourrait quasiment discuter à partir de là.

 

La première citation est de Max Weber. Il  Ã©crit : « Liée à la rationalisation de la technique et à celle du droit, l'émergence du rationalisme économique fût un effet également tributaire de la capacité de la disposition des hommes à adopter des formes spécifiques de conduite de vie pratique et rationnelle. » Ça veut dire quoi ?

« Liée à la rationalisation de la technique et à celle du droit ». Vous l'avez compris, à la technique et à celle du droit.

« L'émergence du rationalisme économique » : une forme du capitalisme, pour aller très vite. Sont tributaires de quoi ? Sont tributaires d'une certaine vision du monde et d'une certaine manière de se comporter. Ce que Pierre Bourdieu, le sociologue, appelait des « Habitus », c'est-à-dire des schèmes de pensée, des schèmes d'action qui finalement vous amènent, vous disposent à vous comporter de telle ou telle manière. C'est là où nous sommes aujourd'hui dans un empire des normes qui vient gérer en lieu et place de la loi, en lieu et place du débat démocratique, qui vient gérer la manière dont nous avons à nous comporter.

 

Je crois qu'il faut bien comprendre que cette normalisation des comportements ne tombe pas du ciel comme ça. Elle tombe eut égard aux nécessités de ce comportement d'une certaine manière pour offrir notre temps, notre corps et notre esprit aux exigences de la production, des différentes formes de production bien sûr. C'est un point très important parce que les normes qui existent sur les lieux de travail, les scènes professionnelles, que ça soit les hôpitaux, que ça soit les laboratoires de recherche, que ça soit les lieux d'enseignement, que ça soit les salles de rédaction des journaux, ou des tribunaux peu importe... ces normes-là, il faut bien voir que ce ne sont pas seulement des normes qui nous sont extérieures. Ce sont des normes que nous incorporons, que nous introjectons. Et qui conduisent à penser le monde d'une certaine manière, qui fabrique ce que Michel Foucault appelait « un sujet éthique », c'est-à-dire une certaine manière d'être avec soi-même, d'être avec les autres et d'être avec le monde. C'est-à-dire que ces normes qui sont sur les lieux de la pratique, il faut bien voir que nous les incorporons et qu'ensuite nous les actualisons dans les rapports que nous avons avec les autres.

 

Pour prendre un exemple très simple: il va de soi qu'aujourd'hui, dans nos relations amoureuses, dans nos relations amicales, nous nous comportons comme nous nous comportons sur les lieux de travail avec les valeurs, avec les mêmes pratiques, avec les mêmes dispositifs. Du coup, on va aller sur un site de rencontre comme on se présente en entretien d'embauche. Avec la même stratégie de faire valoir, avec la même stratégie de réification, de chosification de ce que nous sommes. C'est un point très important parce que, pour aller vite et pour faire simple puisque c'est aussi par la psychanalyse que vous me sollicitez, ça veut dire que l'homme tragique que véhicule la théorie et la pratique analytique n'a strictement rien à faire dans cette histoire-là.

 Le désamour qu'il peut y avoir entre l'opinion et la psychanalyse – je ne dis pas la validité épistémologique ou la validité thérapeutique, mais au niveau des affinités électives des idéologies, il va de soi que les valeurs que nous portons d'un homme divisé, tourmenté, tragique etc. n'a strictement plus rien à faire dans un univers ou effectivement la pédagogie des conduites passent par ce système d'habitus, ce système de manière d'agir et de penser.

 

 

La conséquence – et si j'avais le temps je pourrais vous parler du lien que j'essaie de faire dans mon dernier bouquin entre ce que j'appelle le techno-fascisme et ce que j'appelle le théo-fascisme et malheureusement je dirais que les derniers évènements ont donné raison à ce que j'avançais, puisqu'on mon livre est sorti en septembre et comme vous le savez, et les derniers évènements ont eu lieu en novembre, ces évènements tragiques que vous connaissez – et bien mon idée, pour aller très vite, c'est que ces mouvements terroristes, extrémistes, sont l'ombre portée d'une civilisation néo-libérale qui conduit effectivement à l'atomisation des individus et qui les conduit en quelques sortes à se comporter dans ce qu'il y a de plus abominable, c'est-à-dire à se considérer comme une machine. Une machine à tuer, une machine à vivre pour aller vite. Alors je ne vais pas le développer parce que ce n'est pas ce que j'ai prévu ce matin, mais ce que je voudrais juste vous montrer en clin d'oeil c'est que ces mouvements terribles, ces mouvements terroristes, ces mouvements criminels, sont l'ombre portée aussi d'une certaine manière de penser le monde qui s'est mondialisée.

 

Et aujourd'hui, où la valeur – par exemple c'est tous les systèmes d'évaluation – où la valeur se trouve réduite à ce qui est produit par une pensée des affaires : combien ça rapporte ? Combien ça coute ? Les déficits etc. Et bien ce que j'appelle la curatelle technico-financière, lorsque la valeur est réduite purement à ça – souvenez-vous lorsque Syriza va négocier à Bruxelles. Mr. Schäubel, le ministre des finances allemand, dit à Mr Sapin « Il n'y a aucune raison que les élections changent quoi que ce soit ». Bon à partir du moment où l'on a cette phrase « Il n'y a aucune raison que les élections changent quoi que ce soit, c'est la règle » dit-il, on est dans la curatelle technico-financière, celle qui est bien sûr imposée au peuple où on leur dit que la démocratie n'a aucune valeur, où on leur dit que la politique n'a aucune valeur. Et c'est aussi ce qui se décline à un niveau beaucoup plus microcosmique, au niveau ontologique des sujets, à savoir qu'ils n'ont qu'une chose à faire c'est se soumettre à la règle formelle qui est prescrite. Et là, vous avez le droit. C'est-à-dire qu'il faut être conforme aux règles.

 

 Après tout, aujourd'hui on s'en fout complètement qu'il soit psychotique s'il se comporte normalement, on s'en fout. Sauf qu'on ne se rend pas compte que bien évidemment, rien n'évite à ce moment-là des espèces d'implosions et d'explosions tout à fait spectaculaires que nous connaissons.

 

Alors, comme je n'ai pas encore commencé mon topo, je vais essayer d'accélérer. Je vous donne quand-même une citation d'Adorno, de l'école de Francfort qui disait « L'objectivité dans les relations entre les hommes qui fait fi de toute idéologie est déjà devenue en elle-même une idéologie qui nous invite à traiter les hommes comme des choses. » Donc à partir de ce moment-là, on l'a très bien vu à partir des évènements les plus tragiques, on peut être un entrepreneur de la terreur. C'est-à- dire, on peut en gros considérer que ce qui compte c'est le résultat, ce sont les effets, c'est l'aspect quantitatif ou les effets spectaculaires. Donc la relation humaine, l'humanité dans l'Homme passe complètement à la trappe.

 

Du coup – et je décline mon autre point – ça va modifier radicalement nos pratiques. À partir du moment où effectivement ce qui compte est ce qui est objectif, ce qui compte est quantitatif – l'évaluation aujourd'hui est essentiellement quantitative, comme si la qualité était une propriété émergente de la quantité, elle est formelle, elle est procédurale. Il s'agit encore une fois d'être conforme, peu importe que vos recherches soient sans intérêt, de toute façon les articles scientifiques ne sont pas fait pour être lus, ils sont faits pour être publiés, peu importe que vos recherches n'apportent strictement rien. On sait bien que 80 % des articles scientifiques ne sont pas lus, on s'en fout complètement. La seule chose qui compte c'est ce qu'ils rapportent en termes de support de publication. Donc il vaut mieux publier un article complètement merdique mais dans une revue à fort impact factor, ça vous rapportera beaucoup plus que d'avoir publier un article génial dans une revue grise.

 

On voit bien que c'est un changement dans la manière de penser le monde et de se penser soi- même. C'est un changement dans la manière de penser la valeur. Ça a des conséquences évidentes sur les formes de pratiques qui sont les nôtres, ou bien sur les formes de savoir qui accompagnent ou qui légitiment ces pratiques. Il va de soi qu'aujourd'hui, peu importe qu'un patron de médecine, un PU-PH de médecine ou de psychiatrie, ou d'autre chose, n'aime pas le soin, n'aime pas les malades. On s'en fout complètement puisqu'il est recruté sur la base d'une épreuve de titres et de publications qui ne prend comme seul critère que la productivité d'articles dans des supports suffisamment prestigieux, ce qui veut dire suffisamment dépendants d'un réseau hégémonique intellectuel essentiellement nord- américain, puisque entre 70 et 80 % des adresses des auteurs des nature size ( ?) sont soit aux Etats-Unis, soit en Angleterre. Donc en gros c'est un degré d'insertion dans un réseau. Ce n'est pas du tout la qualité de l'article, encore moins la qualité du soin qui peut être prescrit, qui peut être donné. C'est ça le problème majeur.

 

Alors du coup on va dire que ça développe un peu ce que Michel Foucault nous avait appris. Autre citation : « C'est la question du trouble, c'est la question désordre, c'est la question du danger qui se trouve par la décision administrative posée au psychiatre. L'analyse, l'investigation, le quadrillage psychiatrique vont tendre à se déplacer de ce que pense le malade vers ce qu'il fait ; De ce qu'il est capable de comprendre à ce qu'il est susceptible de commettre ; De ce qu'il peut consciemment vouloir vers ce qui pourrait se produire en lui d'involontaire dans son comportement. »

Donc à partir de ce moment-là, on comprend tout à fait que des choses aussi débiles que la notion de trouble du comportement, que des choses aussi débiles que les DSM-III, IV et V qui ne valent strictement rien sur le plan épistémologique soient promus puisqu'ils sont suffisants pour répondre à cette question de repérer des individus à risque, c'est-à-dire des individus chez qui puissent justement émerger des catastrophes, soit pour eux, soit pour les autres.

 

Ce que j'essaye de vous proposer là, pour aller très vite  â€“ donc ce que j'essaye de développer, c'est que aussi bien l'émergence de la psychanalyse à la fin du 19ème siècle, encore une fois il ne faut pas la poser de manière héroïque, elle est tout à fait dans l'ère à ce moment-là, elle est pourrait-on dire un geste anthropologique humaniste, face à quelque chose qui est en train de se mettre en place et qui est justement une espèce de technicisation des comportements individuels, de brutalisation des rapports sociaux.

 Si ça vous intéresse j'ai fait une conférence au collège de France l'année dernière en octobre 2014 qui doit être encore sur le site du collège de France. Donc il faut bien voir que ça, aujourd'hui c'est en train d'être complètement démoli. Il faut bien voir que la psychopathologie, la psychiatrie, la psychologie, avant d'être des sciences, ou avant d'être des savoirs ou avant d'être des pratiques thérapeutiques sont des pratiques sociales. Elles sont des pratiques sociales qui participent justement au gouvernement des individus et des populations. Donc parler avec Michel Foucault du savoir par exemple comme fait de civilisation, c'est reconnaître que les concepts, les méthodes en psychiatrie ou en psychopathologie ont une histoire. Et que du coup, ces méthodes et ces concepts émergent de la niche écologique d'une culture qu'ils participent en retour à recoder.

 

 Je crois que c'est un point très important, qui m'amène à poser comme première hypothèse, après Michel Foucault, que les formes du savoir sont inséparables des formes du pouvoir. C'est-à-dire que la manière de soigner – vous avez bien vu tout à l'heure ce que je vous ai raconté – la manière de soigner, la manière d'enseigner, la manière de chercher, la manière de juger sont inséparables des logiques de domination sociale. Et donc les modifications qui sont faites aujourd'hui ne sont pas simplement produites par des évènements scientifiques merveilleux, ou des évènements thérapeutiques formidables, mais ils sont accompagnés par des dispositifs sociaux et culturels qui viennent soit soutenir, soit empêcher certains savoirs et certaines pratiques.

 

Michel Foucault écrit : « Chaque forme de savoir est donc liée à l'exercice d'un pouvoir, s'exerçant selon un rythme dont elle apparaît comme l'effet. » Donc vous voyez, c'est d'entrée de jeu vous dire que l'état d'un savoir, la forme d'un savoir, un modèle de pratique par exemple, à un moment donné dans une société donnée, ne relève pas que de l'épistémologie ; ne relève pas que de l'évaluation de sa validité épistémologique, de sa validité scientifique. La forme d'un savoir c'est aussi le calibrage des discours qui à un moment donné sont acceptés ou rejetés par les valeurs et les pratiques de l'économie symbolique et politique d'une société. Donc en un mot commençant, ce qui m'intéresse depuis quelques années, ce sont plutôt les conditions sociales et culturelles qui permettent l'émergence d'un type de savoir, son développement, son soutien, ou au contraire qui viennent l'inhiber. Aujourd'hui, il est évident que la psychanalyse – mais pas que la psychanalyse, la psychothérapie institutionnelle, la philosophie critique, la sociologie critique sont inhibées parce que le calibrage du discours ne laisse pas passer, c'est un véritable filtre, ne laisse pas passer certains savoirs ou certaines pratiques. Donc en quelques sortes, l'empêchement ne relève pas de la validité intérieure de ce savoir, de cette connaissance ou de cette pratique mais procède du fait que ça passe ou pas à travers les filtres sociaux ou culturels qui sont mis en place et qu'on appelle par exemple l'évaluation. Pour prendre un exemple très concret.

Alors je n'ai pas le temps de le développer, mais les historiens de la médecine par exemple ont parfaitement montré que certaines découvertes scientifiques se faisaient au sein d'une culture donnée. Par exemple, l'historien de la médecine Henri Sigerist, qui est quelqu'un auquel Canguilhem se réfère beaucoup, montre que la découverte de la physiologie de la circulation sanguine par Harvey est inséparable de l'esprit baroque de l'époque où Harvey trouve ce modèle physiologique. Au point où on passe d'un modèle anatomique figé à un modèle perspectiviste. Ça ne veut pas dire bien évidemment que la physiologie sanguine est une construction baroque, ce n'est pas ça que ça veut dire. Mais ça veut dire que le style anthropologique de ce moment-là, de l'époque, permet de penser d'une manière qui jusque là n'avait pas été élaborée. Il y a comme ça, pourrait-on dire un espèce d'humus social et culturel, qui permet l'émergence ou l'empêchement de certains savoirs ou de certaines pratiques.

 

Une citation de Sigerist : « l'Homme du baroque ne s'intéresse pas à ce qui est, mais à ce qui va être. Le baroque est infiniment plus qu'un style dans l'art, il est l'expression d'une forme de penser qui règne à cette époque dans tous les domaines de l'esprit, la littérature, la musique, la mode, l'état, la façon de vivre, les sciences. » Et donc la physiologie, c'est-à-dire l'idée fonctionnelle en médecine, est née dit-il, de l'esprit baroque. Et il ajoute : « Nous voyons que la médecine est des plus étroitement liée à l'ensemble de la culture. Toute transformation dans les conceptions médicales étant conditionnée par des transformations dans les idées de l'époque. » Vous avez l'essentiel là. Le savoir ce n'est pas la science. Ne confondez pas. Chez Foucault c'est très précis. Le savoir c'est une grammaire des discours.

 

C'est-à-dire le filtre qui laisse passer ou pas les discours scientifiques, ce n'est pas pareil. Le mot savoir indique – je cite Foucault : « Toutes les procédures et tous les effets de connaissances qu'un champ spécifique est disposé à accepter à un moment donné. » Donc il y a un moment où on laisse passer telle recherche, telle pratique, et un moment où elles sont empêchées. Et aujourd'hui, il faut bien le comprendre, nous sommes dans une démocratie un peu dégénérée, ce que j'appelle la démocratie d'expertise et d'opinions. Et cette forme dégénérée de démocratie suppose en quelques sortes que la censure ne va pas porter sur ce que vous dîtes – on peut dire à peu près n'importe quoi - mais sur les conditions d'énonciation, sur les conditions de production du discours.

Donc, il va de soi qu'on ne va pas vous interdire par exemple l'usage de la psychanalyse dans les hôpitaux, ou bien on ne va pas vous interdire l'enseignement de la psychanalyse dans les universités. Mais on va mettre en place des filtres tels que c'est impossible. Vous ne pourrez pas être recrutés à l'université si vous faîtes des recherches de psychanalyse.

 Bon, il y a bien encore quelques villages d'indiens de ci de là, mais majoritairement, vous le savez, internationalement parlant ce n'est pas possible parce que justement, les impacts factors, les factors H et M qui évaluent les enseignants chercheurs, les universitaires, n'acceptent pas de reconnaître socialement et culturellement ces recherches-là. De la même manière on ne va pas vous interdire de pratiquer la psychothérapie analytique mais on va mettre en place des conditions où la tarification à l'activité ou son équivalent en psychiatrie va finalement tabler sur la rentabilité, sur le flux tendu, sur le nombre et donc va rendre impossible quelque chose qui se pose dans la durée. Donc ce sur quoi je voudrais juste insister là, c'est bien que ce codage du savoir a un rôle de filtre social considérable sur les modes de connaissances et les modes d'interventions.

 

Et c'est là où je viens au thème de mon propos. Vous voyez, tout à l'heure je vous ai parlé des machines, mais ça c'est très archaïques. Les machines finalement, l'histoire des bracelets électroniques, ça ne vaut pas plus que ce que proposait en 1870 Mr Poulos, c'est pareil, c'est du même ordre. Aujourd'hui il y a beaucoup mieux. Ce beaucoup mieux aujourd'hui ce sont les machines numériques. Les machines numériques, l'interconnexion des données, la surveillance, la traçabilité, les renifleurs, les capteurs qui effectivement vont faire en sorte que les psys, les travailleurs sociaux vont être totalement inutiles. Je ne veux pas vous casser le moral mais enfin, c'est quand-même ça que ça veut dire. Le codage des savoirs, le codage des pratiques, à partir du moment où il met le paquet non pas sur la parole, non pas sur le récit. Là aussi c'est un de mes thèmes de recherche, la crise du récit, nous la vivons aujourd'hui. La crise de la parole, nous la vivons aujourd'hui. Et du coup c'est la crise de la démocratie. Bien entendu que la démocratie ce n'est rien d'autre qu'un gouvernement par la parole et le débat. Et justement la transformation des données en termes purement numériques, exclue au nom de l'efficacité, au nom du moindre coût toute possibilité de les dire en parole ou de les dire en récit.

 

C'est tout à a fait anticipé par un philosophe que j'aime beaucoup qui s'appelle Jean-François Lyotard. Déjà en 1979, il avait mis en évidence à propos des universités comment le codage numérique des connaissances allait en quelques sortes exclure du champ de la recherche et de la transmission tout ce qui passait par le narratif. Regardez, encore récemment le gouvernement japonais a écrit au président des universités japonaises pour leur demander de fermer les départements de sciences humaines et sociales. C'est la preuve que tout ce qui est narratif, tout ce qui fait partie des humanités comme on disait, aujourd'hui n'a pas sa place. « Pourquoi » dit-il ? Parce qu'il faut faire des économies et que s'il faut faire des économies, et bien il faut mettre le paquet sur la technologie et sur la science, surtout si c'est une science appliquée. Donc vous avez là ce qui nous guette. Sauf que ce que j'ai essayé d'écrire dans mon dernier livre – je fais un peu de pub pour mon dernier livre – ce que j'ai essayé de montrer, c'est que ce techno-fascisme-là, il produit justement les théo-fascistes. C'est une évidence. C'est à dire que cette manière technique, cette technicisation de la relation humaine, cette technicisation de la société produit bien évidemment ce que nous avons déjà connu à la fin du 19ème siècle, comme ce que nous avons déjà connu en 1901-1930 : l'émergence du mouvement populiste, l'émergence du mouvement antisémite, l'émergence du mouvement raciste, l'émergence de mouvements qui finalement viennent s'affronter directement avec la civilisation bourgeoise des moeurs.

 

Si vous prenez Vienne par exemple : 1895 c'est la date de publication des Études sur l'hystérie, comme vous le savez de Breuer et Freud. Mais 1895 c'est aussi l'année où le tribun antisémite, populiste, raciste Karl Lueger gagne les élections municipales à Vienne. Et même s'il faut deux ans avant que l'empereur ratifie le succès de Karl Lueger, il finira maire de Vienne. Donc vous voyez, à mon avis nous sommes dans cette période-là. Il y a une résurgence aujourd'hui de cette crise-là. Bon, je ferme la parenthèse. Ça c'est lié à mes derniers travaux.

 

Mais pour revenir à cette question sur la nature des connaissances et des pratiques qui sont autorisées, je repars de Lyotard et vous donne justement cette citation de Lyotard : « Il est raisonnable de penser que la multiplication des machines informationnelles (il disait ça il y a 40 ans quand même) affecte et affectera la circulation des connaissances autant que l'a fait le développement des moyens de circulation des hommes d'abord (des transports), des sons et des images ensuite (les médias). Dans cette transformation générale, la nature du savoir ne reste pas intacte, il ne peut passer dans les nouveaux canaux et devenir opérationnel que si la connaissance peut être traduite en quantité d'informations. On peut donc en tirer la prévision (et tout lui donne raison) que tout ce qui dans le savoir constitué n'est pas ainsi traduisible sera délaissé et que l'orientation des recherches nouvelles se subordonnera à la condition de traduisibilité des résultats éventuels en langage de machine. »

 

Vous avez tout là, vous avez tout. C'est-à-dire qu'effectivement, ce que vous ne pouvez pas traduire de vos pratiques ou de vos connaissances en langage de machine, en langage d'ordinateur, de logiciels, de big data, est socialement délaissé, est socialement invisible. Ça ne veut pas dire que le boulot que nous faisons n'a pas de sens – il a plus que jamais un sens, c'est un autre problème ça – mais ça veut dire simplement qu'il ne faut pas en attendre une visibilité sociale aujourd'hui tant que nous n'avons pas politiquement renversé ce système de valeur. C'est clair. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, pour moi – bon je suis un vieil universitaire comme vous savez, j'ai fait un certain nombre de recherches en épistémologie et autre – mais pour moi aujourd'hui le problème est essentiellement politique. Pas au sens des partis politiques, dont je me fous éperdument. Il est politique au sens où le geste anthropologique qui peut changer la hiérarchie des valeurs qui vise à reconnaitre des savoirs ou des pratiques, ne peut-être que politique. Et que sans ça nous allons rester entre Charybde et Scylla, entre les pires. Ou bien un terrorisme doux, pour aller très vite qui est celui du néolibéralisme, où on vous dit comment vous devez vous comporter pour bien vous comporter – mais votre vie est prescrite, elle est machiniquement, automatiquement automatisée – ou bien tous les fascismes auxquels nous assistons.

 

Donc je crois qu'il faut bien voir que ce sont ces conditions de l'Homme numérique aujourd'hui qui amènent à cette mise en question d'un certain nombre de connaissances et de pratiques dans le champ qui est le nôtre. Et il faut bien le voir, la psychopathologie est particulièrement exposée à ces effets de savoir, puisqu'elle définit en gros les normes sociales, elle définit la manière dont on peut penser la subjectivité et le lien social. Donc les conditions d'émergence, les conditions favorisant comme disait Bourdieu, aujourd'hui elles ne sont pas malheureusement du côté où nous nous situons.

 

Donc si on part de la deuxième moitié du 19ème siècle, on voit bien comment il y a une médicalisation de l'existence qui permet au pouvoir politique de trouver dans les sciences du vivant et de la matière en particulier, mais aussi l'hygiène – l'hygiène c'est très important à la fin du 19ème et au début du 20ème, c'est une véritable pédagogie du comportement, l'hygiène publique – comment si vous voulez, le pouvoir va trouver dans les sciences médicales, dans les sciences du vivant, mais aussi dans les sciences sociales et psychologiques, des moyens de légitimer des décisions. Ça ne fait que s'accélérer. Et bien aujourd'hui, cette médicalisation de l'existence va moins passer par la clinique, elle va moins passer par le soin, elle va moins passer par la surveillance médicale. Elle va toujours plus passer par le repérage de facteurs à risque. C'est ça qui faut bien comprendre. C'est-à-dire que la notion de causalité en médecine et bien sûr encore plus en psychologie et en psychiatrie, explose complètement au profit d'autres choses qui sont les facteurs de risque. Et ce n'est pas la même chose – il y a changement même dans la figure de la rationalité médicale – ce n'est pas la même chose de considérer que la raison médicale c'est par exemple la prise en charge d'un malade dans la relation médecin/malade, à des fins de guérison et d'accompagnement etc, et puis considérer que la raison médicale, ce qui est encore le cas aujourd'hui, c'est uniquement – enfin c'est uniquement... c'est pourrait-on dire une espèce de veille sanitaire des populations par des réseaux de soins, ce qui n'est pas du tout pareil, à des fins de prévention par repérage de ces facteurs de risque et d'adaptation des individus aux risques qu'ils courent.

 

Vous voyez que ce changement-là, ça fait complètement évidemment la hiérarchie des spécialités médicales. Je n'ai pas le temps de développer mais, c'est une évidence. Ce n'est plus du tout la même chose. Les physiologistes et les cliniciens des années 1950 sont complètement passés à la trappe aujourd'hui au profit dans les feuilles de médecine de tout ce qui est très technique, de tout ce qui est épidémiologique etc. Donc déjà c'est plus du tout pareil, le clinicien ça ne compte plus dans les facs de médecine. Ce qui compte ce sont les techniciens, ce sont les gros appareils, ce sont ceux qui rapportent également non seulement du fric, mais qui rapportent des publications.

 Du coup on a très bien vu, par exemple en France dans les années 2000 mais avant dans les années 80 aux Etats-Unis et en Angleterre, on a très bien vu comment la jonction s'opérait par exemple par rapport aux laboratoires des CNRS, par rapport aux laboratoires des sciences physico- chimiques etc. Donc ça transforme complètement la manière même dont vous êtes pris en charge pour une petite grippe. La manière dont vous êtes pris en charge pour un cancer ou pour un problème médical quel qu'il soit. Il y a quelque chose qui change complètement à partir de ce moment-là. On est aujourd'hui dans le repérage des facteurs à risque. Alors ça veut dire bien évidemment que la psychiatrie va avoir de moins en moins à s'occuper de la psychose, elle va avoir de moins en moins à s'occuper des névroses. On s'en fout, on s'en fout complètement. Enfin je schématise à peine. Parce que ce qui compte ce n'est pas du tout de penser en termes de savoir ce que le symptôme signifie, comment il s'insère dans le contexte de l'histoire individuelle ou de l'histoire collective... on s'en fout. Bon, je schématise, je vous provoque bien sûr. Mais on s'en fout. Ce qui compte c'est le repérage des individus à risque. C'est ça qui est important. Quand vous voyez par exemple, une expertise Inserm sur le dépistage des troubles de conduites comme prédictif des troubles de la délinquance à l'adolescence. La cible c'est moins de 3 ans, c'est 2 ans. 18 mois/ 2 ans. Bon. Alors vous rigolez. Moi je me souviens, on est monté tous au créneau là-dessus.

 

 Mais attendez, ça ce n'est qu'un petit élément. C'est un petit élément qui a complètement diffusé dans l'ensemble du secteur de la psychiatrie. L'ensemble du secteur. Alors maintenant c'est le trouble de l'hyper activité qui est à la mode et la bipolarité etc. Or, vous savez bien que le trouble de l'hyper activité et de l'attention s'est multiplié par 300 % dans certains endroits. Or ce n'est pas scientifique. C'est-à-dire qu'on sait par exemple qu'entre 1985 et 1993 aux Etats-Unis, Robert Spitzer, celui qui a fabriqué le DSM-III qui a fait tout basculé – on sait qu'il n'aimait pas les patients. Il suffit de lire sa correspondance, le soin ça le faisait chier. Ce qui est son droit le plus absolu. Et donc du coup il a fait autre chose, il a inventé le DSM-III, bon très bien, parfait. Il est allé dans des départements de psychologie différentielle chercher les outils qu'il fallait pour casser la psychopathologie continentale, c'est-à-dire européenne pour aller vite, et imposer une autre manière de penser, de travailler etc.

Il restait en 1985 la notion de phobie sociale, d'hyper timidité pour aller vite. Phobie sociale, ça ne lui plaisait pas, ça sent encore trop la psychanalyse vous voyez, même jungienne s'il le faut, mais ça sent encore trop la psychanalyse. Donc on va chercher. Il procède de la même manière, je n'ai pas le temps de vous développer. Il crée des commissions, il exclue, il fait voter ... enfin bon il se débrouille. Et du coup on va passer à trouble de l'anxiété sociale. Sauf que trouble de l'anxiété sociale à la place de phobie sociale entre 1985 et 1993 aux Etats-Unis, ça multiplie par 5 si je ne me trompe pas (oui, je crois qu'on passe de 3 à ... ou de 1,8 ... je ne sais plus. J'ai les chiffres dans le livre, je ne les ai pas là), enfin on passe à peu près de 2 à 3 % d'américains souffrant de phobie sociale à près de 20 %.

C'est-à-dire qu'on a réussit à multiplier. Ça ne veut pas dire qu'on est beaucoup plus précis, ça ne veut pas dire qu'on est beaucoup plus sémiologue, ça ne veut pas dire ça du tout. Ça ne veut pas dire qu'on est beaucoup plus médical, ça veut dire qu'on a baissé le seuil de tolérance et on a mis en place des items qui permettent d'inclure le maximum de monde dans le sac des gens souffrant d'hyper timidité. Or c'est le moment où il y a une grande publication aux Etats-Unis, une grande publicité pour le Paxil, l'équivalent du Deroxat en France, où vous avez des publicités partout disant « Vous n'êtes pas timide, vous êtes malade. »

Et c'est pareil en France, entre 1979 et 1996 on va multiplier par 7 le nombre de diagnostic de dépression. Ca ne veut pas dire qu'on a 7 fois plus de gens déprimés, ça veut dire qu'on a changé les critères qui permettent d'inclure les gens dans la catégorie des déprimés. Et à partir de ce moment-là, bien sûr, ça démultiplie d'autant le marché de l'industrie pharmaceutique. Mais il n'y a pas que le marché de l'industrie pharmaceutique.

 

Vous voyez, la notion de trouble pour ça, elle est parfaite. Desorder, DSM, desorder, désordre, trouble etc. c'est parfait. C'est une notion très molle. C'est une notion vaseuse, c'est une notion qui ne veut pas dire grand-chose. L'eau est trouble. C'est de la vase. Ce n'est pas un concept. Lorsqu'on va casser par exemple la notion de névrose, ce que réussit le DSM-IV – le DSM- III est plus prudent, il met entre parenthèses l'équivalence entre la névrose et les troubles – mais le DSM-IV c'est génial. Il va pulvériser la notion de névrose : l'hystérie, l'obsession... C'est pas possible. Pourquoi ? C'est trop gênant, c'est trop proche de la psychanalyse. C'est trop proche du concept d'un homme tragique divisé avec lui-même. On s'en fout complètement qu'il soit conflictuel avec lui-même. On s'en fout complètement du sens que peut avoir ce comportement. La seule chose qui compte c'est que l'individu soit réduit à la somme de ses comportements.

 

Et donc j'en viens à mon autre point. A partir de ce moment-là, on va non plus raisonner en termes de subjectivité, on ne va plus raisonner en termes de significations etc, on va simplement mettre en place des capteurs, des espèces de veilleurs qui visent à déterminer la probabilité de voir apparaître des troubles de comportement qu'on ne veut pas. C'est-à-dire que ce que pense l'individu, ce qu'il sent c'est sans importance. Comment ça s'articule avec son histoire? On s'en fout complètement. Quel rapport ça a avec sa culture ? C'est pas le problème. La seule chose qui compte c'est : quels sont les items, quels sont les critères par lesquels on peut déterminer la probabilité de voir réapparaître un comportement qu'on ne veut pas ? C'est tout. Et à partir de ce moment-là bien évidemment, c'est comme l'histoire du bracelet électronique mais en pire, c'est-à-dire que sous le couvert de la médecine, sous le couvert de la science on met en place ce type de truc.

 

Alors ça, ça a nom très précis dont je vais parler rapidement maintenant. Ça s'appelle la psychiatrie actuarielle. Vous ne savez peut-être pas ce qu'est la psychiatrie actuarielle. La psychiatrie actuarielle, ça a fait fureur au Canada et je peux vous dire que déjà au niveau des tribunaux – j'ai un certains nombre d'amis magistrats – déjà au niveau des tribunaux, on incite forcément et fortement des magistrats à ce qu'ils nomment des experts qui se réfèrent à la psychiatrie actuarielle et surtout plus à ces abominables cliniciens qui prétendent pouvoir déterminer la dangerosité d'un délinquant ou d'un patient en fonction d'un entretien clinique. Comment est venue la psychiatrie actuarielle ? C'est venu justement de ce constat que – et c'est intéressant, c'est la gauche canadienne qui a apporté cette affaire devant la cour des libertés publiques – que deux fois sur trois, les experts psychiatres ou psychologues, lorsqu'ils devaient évaluer la dangerosité d'un patient, se plantaient. 2 fois sur 3. Et donc évidemment, c'est normal que ça passe comme un problème de santé publique et de politique pour aller très vite.

 Et qu'est-ce qu'on a mis à la place ? On a mis à la place ce qui demain va organiser la psychiatrie. La psychiatrie ne sera plus que la somme des agents sécuritaires des comportements, rien d'autre. Ça sera simplement une hygiène du corps social, rien d'autre. Et bien on a mis en place des échelles. On ne parle plus de dangerosité d'un patient, ça ce n'est pas bien, c'est mal pensé. Démocratiquement c'est mal pensé. La démocratie molle américaine ne peut pas penser en termes de dangerosité. Elle va penser en termes de récidives. Ce qui n'est pas pareil.

Récidive, ça veut dire que l'individu est désolidarisé de ses comportements. Ce n'est pas pareil. Ce qui est visé, ce n'est pas l'individu. Ce qui est visé, c'est son comportement. Et donc dans des échelles, ces échelles sont les mêmes que celles des compagnies d'assurance, quand ces compagnies déterminent la prime que vous devez payer si vous voulez vous assurer contre la maladie, contre l'assurance décès etc. Je ne vous l'ai pas amené aujourd'hui, mais vous avez comme ça toute une liste d'items qui va déterminer à quel âge a commencé la première délinquance, est-ce qu'il y a l'usage de stupéfiant ou d'alcool, est-ce qu'il y a agression d'une personne vulnérable, est-ce que le prévenu ou le malade est marié ou célibataire, est-ce qu'il y a eu absentéisme scolaire... il y a tout un barème, comme quand vous remplissez un contrat d'assurance vie, d'assurance décès, ou un contrat maladie. Et donc on détermine à partir de là, le degré de probabilité de voir réapparaître le comportement.

 

Mais il faut quand même se rendre compte de plusieurs choses : ça veut dire que le futur ne peut pas être autre chose que la projection du passé. Ca veut dire aussi que le sujet se trouve réduit à un segment de population à risque. Ça veut dire aussi que même la sanction nous n'y croyons plus. La punition, le caractère de rédemption de la sanction, nous n'y croyons plus. C'est très important par rapport à notre culture. Ça veut dire que le soi, nous n'y croyons plus. Ca veut dire que l'éducation nous n'y croyons plus.

Souvenez-vous quand même qu'à la fin justement de la deuxième guerre mondiale, le conseil national de la résistance, toutes les lois qui ont pu être faites avec le bureau international du travail etc, tout ce qu'on appelait l'esprit de Philadelphie par exemple, pariait sur ce que le philosophe Walter Benjamin appelle « le levain de l'inachevé ». Ces gamins, ces ados, ils ont peut-être fait des tas de conneries, mais ils ne sont pas foutus. Donc on va essayer – l'enfance inadaptée est née de là – on va essayer d'en faire quelque chose. Et ça, c'est terminé. C'est terminé puisque de toute façon on peut établir à partir de ce qu'ils ont fait ce qu'ils pourront en faire. Donc ça veut dire que nous abandonnons, que nous nous abandonnons à la fatalité d'un destin qui répète uniquement ce qui a déjà été produit.

Du coup - et ça me permet d'avancer un peu - du coup ça veut dire qu'on ne va plus raisonner qu'en termes de risque de dangerosité, de risque de récidive etc. Et ça veut dire que le diagnostic aujourd'hui psychiatrique n'a pas besoin d'être fin. Il peut être fait par n'importe quel imbécile, puisque le diagnostic se fait en référence au processus qui a cours dans l'actuariat et qui consiste à optimiser des placements financiers en fonction des catégories de rendements statistiques porteuses de faibles risques. Donc ça veut dire que le sujet humain n'est rien de plus qu'un placement financier que peut faire la société et donc elle va distribuer différemment si j'ose dire ces placements, et optimiser ce qui peut le plus rapporter.

Là nous sommes en danger du point de vue de la démocratie, nous sommes en danger du point de vue de l'humanité dans l'Homme.

 

Quand vous prenez la définition que Jaurès donne de l'humanité par exemple – Jaurès est quelqu'un auquel je me réfère vous vous en doutez – et bien il dit que l'humanité ce n'est pas une unité transcendantale qui se balade en l'air, l'humanité ce n'est pas chacun d'entre nous, l'humanité dit-il « c'est la parcelle d'humanité qui existe en chacun et qui lui fait refuser la fatalité biologique et économique. » « Qui lui fait refuser la fatalité biologique et économique. » Ça c'est très très important. C'est quand même ça le pari que nous faisons. Au niveau du soin, au niveau de l'éducation. Bien sûr qu'il y a une fatalité biologique, ce n'est pas la peine de se cacher derrière son petit doigt, c'est évident. Mais l'humanité n'est pas de ce côté-là. L'économie bien sûr que c'est important. Bon, c'est beaucoup moins sérieux que la neurobiologie mais ça c'est un autre problème. Mais en tout cas c'est ce refus d'une fatalité, voilà.

 

Alors je crois que c'est cela – je vais terminer là dessus – je crois c'est cela que nous avons à penser, parce que si nous voulons aujourd'hui éviter de tomber dans une espèce de traque généralisée des « dys », dysfonctionnements de toutes sortes, avec la confusion épouvantable épistémologiquement parlant qu'il y a entre anomie, anormal, pathologique... c'est vraiment des catégories différentes. Je n'ai pas le temps d'en parler. Ça suppose que nous puissions prendre la mesure de la dimension anthropologique et politique des modes de constitution du savoir et des modes de constitution de nos pratiques thérapeutiques, ou de nos pratiques éducatives.

 

Pour terminer le DSM à partir du III – 1980 pour aller vite,  s’est élaboré entre  1967 et 1980. Le DSM-III, IV, et V, il faut bien voir que ça n'est rien d'autre que l’introduction dans le diagnostic psychiatrique de la machine de l’ordinateur. Il faut bien voir que Robert Spitzer et Lebovic son collègue, qui ont fabriqué le DSM-III, avaient avant 1980 mis en place quelque chose qui s'appelait Diagno. Diagno qu'est-ce que c'était ? Diagno c'était un ordinateur dans lequel on rentrait des réponses à des questionnaires et qui recrachait en fonction des armes de décision, en fonction des échelles, qui recrachait 27 diagnostics différents. C’est très intéressant parce que c'est en 1968. En 1968 on va avoir le diagnostic par ordinateur, mais demain on aura aussi la prescription médicale, surtout en crise, en pénurie de psychiatres et compagnie comme vous le savez. Ce qui est intéressant c’est qu’en 1968 Spitzer a mis au point cet ordinateur Diagno qui fait le diagnostic à la place du psychiatre et du psychologue. Et en 1983 il écrit un article qui s'appelle : « Les cliniciens sont-ils encore nécessaires ? Â»

 Et la réponse, vous l'avez. C’est-à-dire qu’ à partir de ce moment-là, les cliniciens ne sont pas nécessaires. Alors ce qui est intéressant - du coup je termine sur cette dimension très politique - il faut bien voir que cette solution technicienne comme je l’appelle, cette solution technicienne qui arrive en psychiatrie, est la pointe émergée d'une technicisation de l'ensemble des rapports sociaux. C'est-à-dire que face à tous les problèmes que nous rencontrons, la solution que nous apportons c’est la technique.

On pourrait d’ailleurs encore une fois prendre l’exemple de ce qui se passe aujourd’hui. Je ne dis pas qu’il ne faut pas le faire, je me garderai bien de prendre une position sur des mesures qui sont bien sûr exceptionnelles dans un champ qui aujourd’hui est très grave. C’est pas ça. Mais il faut bien voir que c’est ça la réponse que nous avons. Alors cette réponse elle est peut-être aujourd’hui nécessaire, j’en sais rien, mais en tout cas elle n’est pas suffisante. Je suis sûr d’une chose c’est qu’elle n’est pas suffisante. Elle n’est pas suffisante parce qu'elle entretient le mal qu’elle a produit. C’est-à- dire que c’est bien aussi parce qu'il y a un délitement des rapports sociaux, c’est bien parce qu’il y a une déchirure dans le tissu social et dans tous les dispositifs de soins, d’éducation, de travail social, d’information, de justice et de culture... c’est bien pour ça qu’émerge justement cette brutalisation des rapports sociaux.

 

 Je voulais simplement terminer avec une citation, mais puisque vous me pressez un peu plus, je terminerai avec deux citations. La première est celle de Dave Clark, un des inventeurs d’Internet. Il faut bien voir qu’elle est anticipatrice de ce qui se passe. « Nous rejetons les rois, les présidents et le vote. Nous croyons au consensus et à l’exécution du code. » Internet, les logiciels et le numérique, c’est ça. Ça ne veut pas dire que c’est mauvais, ne confondez pas. Mais ça veut dire que si nous laissons faire, si nous laissons faire, sans accompagner par justement quelque chose qui est cette humanité de l’Homme dont j’ai essayé de parler, et bien nous aboutissons simplement à ça. Nous ne croyons plus au vote, nous ne croyons qu'à l’exécution du code.

Et la dernière citation est de Canguilhem qui disait que « La raison est régulière comme un comptable, mais la vie anarchiste comme un artiste. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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